Périple dans une Amérique entre mythes et réalité. (eBook)

« Ils disaient que ça ne pourrait pas arriver »
New York Post, 9/11/2016

Avant-propos

8 novembre 2016.

L'Amérique tremble, non … seul un homme gesticule … D.Trump enchante et désenchante le peuple américain en ce jour de scrutin. Jamais un candidat élu n'a soulevé autant d'engouement que d'indignation.

Tous ont prédit l'écrasante revanche d'Hillary Clinton sans anticiper ni même envisager la vindicte populaire des Blancs américains en déshérence.

Tous l'ont dépeint comme stupide, fou, mégalomane, inexpérimenté ; personne n'a perçu le stratège, le calculateur, l'homme de terrain incroyablement habile …

Nombreux ont été les caciques tant démocrates que républicains à se préoccuper du vote des minorités, nouvelle clef de voûte de la démographie américaine. Les grands ténors politiques ont négligé le vote du cœur de l'Amérique : ces Blancs, peu diplômés, en mal de reconnaissance sociale, déconnectés des instances dirigeantes...

Un seul les a écoutés et leur a parlés : le 45e Président des États-Unis.

Tard dans la nuit, les grands électeurs des États de la Rust Belt (Michigan, Wisconsin1) et de la Pennsylvanie apportent à Trump les clés de la Maison Blanche. Donald Trump n'a été élu, au final, que par 25 % des Américains en âge de voter. Essentiellement des Blancs des États ruraux de l'Amérique profonde : l'Amérique républicaine fervente du Sud et le cœur religieux de la Bible Belt indignée face au progressisme démocrate.

Les questions persistent … L'élection de Trump nous amène à nous interroger non seulement sur les raisons de la victoire du dirigeant libéral-populiste de la Trump Organization mais aussi sur les bouleversements invisibles aux yeux de Washington qui traversent l'Amérique contemporaine.

Nier les changements des États-Unis serait une erreur. Établir un constat n'est en rien difficile aujourd'hui :

Démographiquement, l'Amérique européenne décline inéluctablement au profit d'une immigration latino-américaine et asiatique.

Religieusement, l'Amérique chrétienne reste vivace et prosélyte mais l'athéisme gagne du terrain partout, tant sur la façade Pacifique que sur les terres ancestrales des premières colonies.

Sociologiquement, les Millennials2 enhardis par les diatribes antilibérales et ultra-progressistes de Bernie Sanders se sont éteints. Après la primaire démocrate, les jeunes diplômés ont laissé le champ libre aux partisans conservateurs et aux citoyens déclassés, avides d' « American Dream », et survoltés par les saillies racistes et isolationnistes de D. Trump.

Historiquement, l'Amérique de Trump montre que les démons du passé sont loin d'être exorcisés : les événements de Charlottesville en août 20173 ont prouvé l'existence de césures idéologiques profondes encore bien persistantes …

Culturellement, l'Amérique n'a jamais été aussi divisée. Trump est le dirigeant d'un conglomérat de nations concurrentes dont l'allégeance juridique et politique à Washington est mouvante, telle qu'elle a pu l'être au XVIIIe siècle face à la couronne britannique.

Apporter des réponses ne relève pas, à coup sûr, d'une longue sinécure.

Qu'est-ce qui unit donc les Américains ? … Les mythes ! Face à ces divisions profondes, les Américains s'unissent autour de mythes fictionnels puissants.

Le mythe du héros ou du « self-made-man » inonde la société américaine, Trump en est le porte-étendard : « Salut, je suis Donald Trump, j'ai gagné des milliards de milliards de dollars en faisant des affaires dans le monde entier4 ». La classe moyenne s’enorgueillit d'avoir porté son héraut populaire, entiché d'être le symbole du rêve américain face aux pontes de Washington alors qu'il en est lui même l'un des produits les plus fallacieux.

De plus, la constitution américaine n'existe pour l'homo americanus qu'à travers le Premier et le Second amendements5, héritage persistant et naturel du XVIIIe siècle.

Hier et aujourd'hui, les Pères pèlerins et les immigrés actuels, partagent un esprit pionnier identique : vivre le rêve américain afin de jouir d'une liberté, qu'elle soit religieuse ou personnelle mais aussi la possibilité de prospérer …

Les vagues successives d'immigration depuis 400 ans illustrent l'attrait constant de l'Amérique à l'échelle mondiale : étudiants, ingénieurs, informaticiens, médecins, entrepreneurs … Tous vantent la terre où « tout est possible ». L'immigration reste extrêmement élevée, encore un million d'étrangers s'agglutinent, chaque année, aux portes de la première puissance mondiale. Rien n'altère l'aimant américain !

Les problèmes actuels de l'Amérique et ses mythes fondateurs encore bien présents font d'elle une nation paradoxale, difficile à appréhender, qui indigne mais qui attire aussi.

La démarche de cet ouvrage est de prendre du recul, afin de percevoir l'Amérique telle qu'elle est, mais aussi telle qu'elle est dépeinte. L'objectif n'est pas de fournir une étude approfondie et exhaustive de la société américaine mais de formuler des diagnostics, fondés sur des impressions dominantes qui s'imposent par l'observation et qui contribuent à dresser des esquisses d'analyses sociétales.

Chacun des thèmes du livre vous seront présentés sous forme de brèves à considérer comme des tremplins d'idées, à approfondir ou à confronter à votre guise. Le leitmotiv reste, avant tout, de s'essayer à la réflexion sans imposer mais plutôt suggérer.

Comprendre l'Amérique à travers le prisme politique est insuffisant. Il est indispensable de croiser le droit américain, la perception et la pratique de la religion, les données de l’immigration, la place et le rôle des minorités américaines ainsi que les rapports sociaux au sein des métropoles. Des sources nouvelles doivent être exploitées : le cinéma, la télévision mais aussi les comics ont accompli une mue édifiante depuis 40 ans. Les arts américains s'érigent en contre-pouvoir et en analystes précieux dans la compréhension sociétale du pays. Ne pas les prendre en compte serait une erreur. Ils constituent un puits sans fond pour affiner une étude sur l'Amérique. Les auteurs américains sont souvent sans concession dans l'autocritique et doivent être perçus et reconnus comme des sources fiables de leur propre histoire.

Afin de mieux percevoir les changements contemporains, des témoignages d'Américains issus de divers horizons et des photographies viendront étayer ma vision des États-Unis.

Évoquer les échelles du pays reste enfin une problématique majeure. En permanence, il faut varier les angles territoriaux d'études, jongler entre les villes, les espaces ruraux, les comtés, les États et le pouvoir fédéral.

L'Amérique est à l'image de sa population. Elle est cosmopolite lorsqu'elle est New-York ; écologique et progressiste lorsqu'elle est San Francisco ; rongée par son passé lorsqu'elle est Selma ; blanche et ultraconservatrice lorsqu'elle est Harrison ; visionnaire et renaissante lorsqu'elle est Detroit ; affairiste et branchée lorsqu'elle est Washington mais aussi baptiste quand elle est l'Alabama ; luthérienne quand elle est le Dakota du Nord ; catholique quand elle est le Massachusetts ; mormone quand elle est l'Utah ; athée quand elle est l'Oregon ; ou encore musulmane quand elle est Dearborn et enfin amish quand elle est le comté de Lancaster en Pennsylvanie.

L'Amérique n'est pas Trump, une Amérique est Trump ! Telle sera mon ambition : décrire au mieux, comprendre sans stigmatiser cette Amérique mais surtout déceler les fractures qui ont conduits les États-Unis à porter le héros d'une Amérique, au dépend d'une Nation. Au risque de creuser les inégalités économiques et intellectuelles déjà croissantes entre la base et Washington.

« Malheureux les pays qui ont besoin de héros »
Bertolt Brecht

1 Donald Trump emporte les grands...