Le tango corse -  Dominique Giorgi

Le tango corse (eBook)

Et autres nouvelles de l'île de beauté
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2024 | 1. Auflage
140 Seiten
Books on Demand (Verlag)
978-2-322-53173-8 (ISBN)
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Dans une série de textes courts, l'auteur célèbre la Corse, sa terre de coeur. Des éleveurs fous de tango à l'ancien ambassadeur retiré dans l'île, de la chanteuse des rues à Ajaccio au marcheur des sentiers de randonnée, d'une polyphonie oubliée aux amoureux qui doutent de leur avenir, de la fille d'un père assassiné, ivre de vengeance, au soldat engagé dans la première armée française, une série de portraits sensibles, hommages à la culture et aux habitants de l'île de beauté.

Haut fonctionnaire, issu d'une vieille famille terrienne du sud de la Corse, Dominique Giorgi est l'auteur de plusieurs ouvrages dans le domaine des politiques sociales, et d'un autre recueil de nouvelles, "La dormeuse du Couloumé".

Lettera a mamma


Venissi una rundinella

Ch'eo la mandi messagera

O venga puru una stella

À purtà la mio preghera

Le mio pene è lu mio amore

Versu voi, mamma d'amore2

Au bas de la croix, la photo en médaillon le présentait à peine sorti de l’adolescence, visage régulier, cheveux en brosse, dans le style de coupe en vogue dans les années 50, front dégagé et regard sombre, menton carré. Le temps et les intempéries avaient craquelé la porcelaine, le noir et blanc jauni témoignait des décennies écoulées depuis le drame qui avait endeuillé la famille.

- A mon fils bien aimé, dont rien ne ternira le souvenir.

- A mon frère, arraché si jeune à notre affection.

- A mon frère chéri, à jamais tu demeures dans mon cœur.

- A notre ami, regrets éternels – le club cycliste de Rabat.

Les termes sont convenus, mais comment douter de la sincérité et des sentiments ? Le jeune homme est parti à vingt ans, victime d’un terrible accident. Sa mère, déjà veuve, perd un de ses six enfants, un de ses trois fils. Ce deuxième deuil l’accable, sa frêle silhouette capuchonnée de noir parait tassée par le chagrin. Les frères et sœurs la soutiennent sans cacher leur affliction. Les hommes ne pleurent pas dans ce pays orgueilleux, mais leur visage fermé en dit long sur la blessure et la douleur. Le corps rapatrié a été veillé toute la nuit. La vocératrice s’est lamentée pendant des heures, dans la pièce unique de la chaumière. Les sœurs, serrées contre la mère, ont versé les larmes de la désolation. Le temps est venu de l’adieu, on referme le caveau. C’est fini. Le temps fera son œuvre, le labeur et les jours écourteront la peine. Chaque année, les fleurs de Toussaint aviveront le souvenir. Chaque année, on laissera le feu et des victuailles aux morts de la famille, et la porte ouverte, afin qu’ils puissent passer la nuit, se réchauffer, et se rassasier dans le monde des vivants. Mais la nuit terminée, les morts retrouveront le caveau. Et chaque printemps verra les fleurs fanées.

Tous ceux qui avaient laissé un message sur la pierre tombale sont maintenant disparus, la mère, les frères et sœurs, les amis. Moi seul, je reste.

*

Je remonte le chemin communal en courant, sautant de marche en marche, dans la pente raide, me griffant les mollets dans les branches de maquis qui entravent le passage, m’appuyant sur les murs de pierres sèches pour éviter de perdre l’équilibre. Le ciel, là-haut, invite au vertige et je manque tomber, si souvent que je m’étonne de déboucher sans trop de mal en haut du village. On m’a laissé loin de la maison, je surgirai à pied, essoufflé et heureux de créer la surprise. On est convenu de me laisser un temps d’avance, les parents, tout inquiets de m’avoir perdu, feignant de me retrouver par hasard, arriveront un peu plus tard. J’aurai eu tout le temps de reconnaître la bâtisse austère en blocs de granit, la porte en bois, les lourds volets fermés pour préserver la fraicheur du matin, d’en faire le tour à pas de loup, de me glisser sous le chêne, de monter sur le banc de pierre, de redescendre et de me faufiler entre le bougainvillier accroché au mur et l’acacia sauvage, à la recherche de la grand-mère, de la surprendre sur sa chaise basse en train d’éplucher les légumes, ou le balai de branchages dans les mains, poussant les feuilles sèches et la poussière, devant l’entrée.

- Mais c’est le petit Francescu, que fais-tu là, chenapan ? tu es tout seul ? tu t’es échappé ?

Ça y est, je suis repéré, agrippé, embrassé, inutile d’essayer de fuir, l’étreinte est trop forte, mais je n’ai aucune envie d’être délogé de ses bras. Voilà un an que je n’ai pas vu la grand-mère, avec ses cheveux longs et gris, qu’elle peigne le matin devant son miroir, avant de les tresser lentement, et de rafraîchir son visage à l’eau du broc, son vieux visage parcheminé, tanné par le soleil de Méditerranée. Est-elle vraiment surprise, ou est-ce une feinte ? Les enfants adorent que l’on croie à leurs petites malices, et je suis malicieux, oh oui ! Elle le sait Minnana, avec son foulard sombre sur la tête et sa robe noire ajustée à la taille, que j’aime surprendre et étonner et jouer la comédie, du haut de mes six ans. Mais, elle avait quand même tout disposé sur la table pour le petit-déjeuner, le bol de lait et les canistrelli, le chocolat en poudre et la confiture de figues, j’aurais bien dû comprendre que tout était prévu…

- Alors petit Francescu, tu as bien travaillé, cette année ? tu sais, c’est important de bien apprendre, si tu veux réussir dans la vie !

- Mais oui, Minnana, je suis le premier de la classe !

- Ah, c’est bien, comme ton oncle, que tu n’as pas connu, lui aussi il travaillait bien ! tu sais que tu t’appelles comme lui, Francescu ?

- Tu me montreras les photos, Minnana ?

- Oui, cet après-midi, promis.

Les parents sont allés se reposer dans leur chambre. Main dans sa main, j’accompagne grand-mère au caveau familial, pas bien loin, au bord de la route. Il faut bien que les morts puissent voir ce qui se passe, reconnaître leurs voisins, leurs descendants, leurs parents et amis, s’étonner du petit qui a bien grandi, du cousin qui a bien vieilli, se réjouir des mariages et des naissances, et, de temps en temps, accueillir les nouveaux venus dans l’au-delà. Ici, les morts restent sur les terres qu’ils ont labourées, près de l'aghja, l'aire à blé où ils ont trimé dur, du four à pain, de la maison, où ils ont grandi, où ils ont aimé, et où parfois, ils ont connu leurs dernières heures. Ils ne disparaissent pas vraiment. Il est là, l’oncle Francescu, celui dont je porte le nom, avec ce petit médaillon, dont se détache le visage juvénile.

- Regarde comme il était beau à vingt ans ! Bientôt, tu lui ressembleras, c’est sûr !

- On va voir les photos, Minnana ?

La boite en fer blanc est posée sur la table de chevet, dedans quelques photos, pas très nombreuses, en noir et blanc avec une bordure crénelée. Les trois frères posent ensemble, on ne sait pas qui tenait l’appareil, ils sont jeunes, maigres, les jambes nues, les cheveux assez courts, coiffés en arrière, ils se ressemblent, mon père est le plus brun et le plus grand, il tient ses cadets par les épaules, un à sa droite, l’autre à sa gauche, les sourires sont un peu forcés, ils ne sont pas habitués à poser, derrière eux, la maison, qui n’a pas beaucoup changé, et un âne, attaché à l’acacia.

- Francescu, c’est lui ?

- Oui, à droite de ton père !

- Pourquoi il était parti ?

- Tu sais, ici on n’avait pas de quoi vivre pour sept, il fallait aller gagner sa vie ailleurs, et à l’époque, beaucoup de jeunes comme lui partaient au Maroc pour trouver du travail ! Ils ont quitté le pays à deux avec ton père, et puis d’autres du village.

Sur une autre photo, Francescu avec des amis, sur une troisième, lui encore, à vélo, pied droit à terre, pied gauche sur la pédale, les mollets galbés du cycliste, chemisette avec un dossard numéro quarante, et casquette posée sur la tête.

- Il a eu un accident ?

- Oui, c’est ce qu’on m’a dit, je ne sais pas exactement. Je n’en saurai jamais plus.

- Et la lettre dessous, tu me la lis ?

- Mais, je croyais que tu savais lire maintenant ? Essaie donc tout seul !

- Mais, c’est en corse !

- Essaie quand même !

- « Venissi una rundinella

Ch'eo la mandi messagera

O venga puru una stella

À purtà la mio preghera

Le mio pene è lu mio amore

Versu voi, mamma d'amore. »

- Mais qu’est-ce que ça veut dire ?

- C’est un vieil air, que chantait un prisonnier corse pendant la première Guerre mondiale, il y a longtemps. Il est très loin de l’île, et il pense à sa mère qu’il a quittée, et qui s’inquiète pour lui. Il rêve de lui envoyer une hirondelle, ou une étoile, avec ses pensées et ses prières, pour la rassurer...

Erscheint lt. Verlag 3.7.2024
Sprache französisch
Themenwelt Literatur
ISBN-10 2-322-53173-1 / 2322531731
ISBN-13 978-2-322-53173-8 / 9782322531738
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