Le pays du rempart amer -  Constantin Marafet

Le pays du rempart amer (eBook)

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2024 | 1. Auflage
210 Seiten
Books on Demand (Verlag)
978-2-322-53122-6 (ISBN)
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Dans ce roman, Constantin Marafet explore l'histoire de la condition des intellectuels dans la récente histoire communiste de la Roumanie. Il examine la vie de Victor Dumitrescu, un éminent universitaire engagé envers des valeurs humaines fortes. L'auteur décrit ainsi la période où le protagoniste expérimente intensément la tragédie et la dure réalité de son temps : « J'étais plongé dans un somnambulisme où le cauchemar devenait le summum du bonheur. Dans les rues, les morts-vivants affichaient un sourire idiot et se tenaient par la main pour ne pas dévier du chemin de la faim et de l'obscurité vers le cimetière cosmique. » (...) Constantin Stancu

Constantin MARAFET est un poète, romancier et éditeur roumain, très impliqué dans la vie culturelle de son pays. Il y organise, en effet, un festival littéraire depuis 2008, et il collabore à de nombreuses revues.

CAPITOLUI I


Le vol Tarom AN24 à destination de Bucarest avait décollé à midi pile de l’aéroport parisien Charles de Gaulle. Tout s’était déroulé normalement jusqu’à Bucarest. Seules quelques petites turbulences, naturelles d’ailleurs, avaient interrompu le rêve inopiné de Victor Dumitrescu. Le ciel présentait des fractures hautes et longues entre les nuages. Ici, à deux mille mètres d’altitude, il était d’un bleu pur, sans plis, infini. Le silence et l’immensité de l’horizon empêchaient Victor de cligner des yeux sans raison. Il ne se lassait pas d’observer et toutes ses pensées s’étaient regroupées dans un coin de son esprit, laissant libre cours à l’admiration silencieuse qui rapiéçait son âme trouée comme une passoire. L’immensité bleue était brusquement interrompue, à intervalles de dix minutes, par un nuage blanc immaculé, aux formes irrégulières. L’avion n’en évitait aucun. Il les transperçait, sans restrictions, donnant l’impression de le faire délibérément, pour y faire halte. Les passagers retenaient leur souffle. Le silence était devenu l’expression même de l’existence. Le bleu pénétrait leur peau comme le parfum des fleurs de mai. Le fuseau horaire embrouillait les aiguilles de la montre, de sorte que certains passagers ne savaient plus depuis combien de temps ils volaient ni quand ils arriveraient à destination.

Au-dessus de Bucarest, Victor regardait à travers le hublot pendant que l’avion tournait en attendant l’autorisation d’atterrir. Il observait et essayait d’identifier les quartiers. Aussi petits que des allumettes, les gens foisonnaient comme dans une fourmilière mal construite, sur la place et dans les rues : un vrai troupeau sans maître, à la dérive. Tout le pays est ainsi : un iceberg mis en isolement et qui se dégrade progressivement, lentement mais sûrement. Le temps s’est déréglé et n’a plus l’odeur de l’Histoire. Il secoua la tête convulsivement : Heureusement que j’ai fait ce qu’il fallait. Il avait l’impression de retourner directement d’un mariage royal à l’enterrement collectif d’une tribu médiévale suicidaire.

Bucarest portait des vêtements sombres de deuil. La différence était énorme, magnifique. Il avait vu aussi Paris depuis la coupole du ciel. La ville des lumières. Incomparable ! Vivrai-je le jour où mon pays ravivera la lumière des choses et des gens ?

Des immeubles bucarestois sortaient, comme des canons pointés vers le ciel, des cheminées improvisées en tôle inerte et noire. Sur les balcons, le linge suspendu était abandonné au vent. Les sous-vêtements déchirés étaient posés à l’arrière, mais on les voyait quand même. Certaines fenêtres avaient le journal Scânteia collé à la verticale, montrant distinctement et sans ambiguïté aucune la photo du Camarade Ceaușescu ; cela faisait office de rideaux. Construits d’une manière chaotique, selon un cerveau aux circonvolutions interrompues, les immeubles en style ghetto dissimulaient la faim. Un peuple entier assigné à résidence, sans la moindre décision judiciaire, soupira Victor.

Il descendit lentement de l’avion. Sa vivacité parisienne disparut soudain. Son corps absorbait les regards d’une armée fixée sur lui, à l’instar d’un charme : Pourquoi tant de gens en costume ? Qui peuvent-ils bien attendre ? Probablement une personnalité communiste dans le même avion. Il vit une équipe de la Securitate le prendre en charge telle l’ombre d’un arc-en-ciel. Eh bien, personne d’autre ne descend. Il est clair qu’ils me veulent. Les nouvelles voyagent plus vite que l’avion. Il chercha discrètement du regard pour repérer la filature. Il la ressentait davantage qu’il ne la voyait. Il abandonna. Il en avait assez. Ces deux-là complètent mon ombre et ajoutent quatre yeux bleus. Je suis passablement important.

Comme seul bagage, un sac en bandoulière contenant le strict nécessaire. Il sortit de l’aéroport avec des pas mesurés se dirigeant directement vers le tramway 123. Il le vit à l’arrêt. Il se dépêcha et parvint à attraper la barre centrale de sa main droite. Le tram partit aussitôt sans annoncer son intention. Bondé comme toujours. Victor avait presque oublié les déplacements dans Bucarest avec les transports en commun. Un calvaire. Il voyagea sur l’escalier jusqu’au premier arrêt, plus dehors que dedans. Il passa rapidement la statue du Lion. Le vent, amplifié par la vitesse du tram, coiffa ses cheveux à la façon des impressionnistes.

Il désirait rentrer chez lui au plus vite. Les deux semaines passées à Paris l’avaient épuisé, tout en le revigorant. Il ne comprenait pas que cela ait pu arriver. Mais c’était son ressenti. Il était revenu avec le désir de lutter contre tous ceux qui violaient de manière flagrante les droits de l’homme, le même désir qu’à son départ, mais à présent raffermi, renforcé. Était-ce le succès qui lui donnait cette immense confiance ou était-ce simplement le regard qu’il posait autour de lui qui suffisait à le motiver ?

Victor habitait au numéro 20, de la rue Ion Călimănescu. C’est avec l’argent qu’Anastasia avait hérité de Tchétchénie, après le décès de ses parents dans un tragique accident de la route, qu’il avait racheté la maison à des commerçants juifs ayant fui le pays après la loi leur interdisant le commerce. Une fois mariée, Anastasia obtint aussi la citoyenneté roumaine qu’elle adjoignit à la russe.

Ils avaient uni leurs âmes avec beaucoup de tendresse dès le premier regard pendant leurs études à Moscou autour d’une rose rouge au parfum d’immortalité.

Comme par miracle, la rue où il habitait avait échappé aux démolitions. Elle est dans notre plan de démolition, le prévenait toujours un fonctionnaire de la mairie de l’arrondissement. Déménagez, déménagez au plus vite ! Nous avons des appartements construits spécialement pour vous dans les immeubles en face, lui disait-il à chaque fois. Personne, absolument personne ne voulait déménager. Tout était démoli à une vitesse astronomique. La rue, entourée des immeubles en béton armé, était à l’instar d’un brin d’herbe foulé par des troupeaux entiers de chevaux d’automne. Le béton froid des immeubles vous écrasait rien qu’en le regardant et offrait l’asthme comme une bénédiction paternelle.

L’agitation autour de sa maison lui donnait l’impression d’être sur la place centrale. Brusquement, d’une rue calme qu’il avait quittée en partant, elle était devenue extrêmement encombrée et agitée. Des voitures noires à plaques d’immatriculation courtes donnaient des frissons aux gens chaque fois qu’elles étaient vues. À présent, elles longeaient la rue. Des hommes en costume tirés à quatre épingles descendaient et montaient de ces voitures. Ce sont nos agents de la Securitate de tous les jours. Les visibles. Où sont les autres ? Comme ils sont indiscrets ! Ils œuvrent à l’intimidation, pensa Victor en souriant amèrement. Il frappa son front comme s’il avait oublié quelque chose, mais ce n’était pas le cas. Il ressentait l’absence de Dromihete, le mendiant au bout de la rue, son ami. Celui-ci lui avait demandé un souvenir de Paris avant de partir : Apporte-moi un singe, peu importe, une petite Anglaise, pour me tenir chaud en hiver.

La rue n’était plus la même sans lui. On pouvait abattre un arbre sans en remarquer l’absence, mais impossible de se passer de Dromihete. Victor l’avait ainsi nommé en référence au mystérieux chef gète. Cheveux non coupés, barbe non rasée, le bonnet de travers, une parfaite ressemblance. Il l’avait appelé ainsi aussi parce qu’il n’avait pas de papiers d’identité. Il ne savait pas qui il était, du moins il le prétendait. Moi, monsieur le professeur, je n’ai jamais été baptisé. Mes parents ont vécu dans le canal, là-bas à Izvoru'. Ils sont morts de froid pendant l’hiver 1954. Depuis, j’erre seul dans le monde. Dromihete était l’un de ses rares amis qui s’adressaient...

Erscheint lt. Verlag 15.5.2024
Sprache französisch
Themenwelt Literatur
ISBN-10 2-322-53122-7 / 2322531227
ISBN-13 978-2-322-53122-6 / 9782322531226
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