Le fils du républicain -  Louis Saïs

Le fils du républicain (eBook)

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2024 | 1. Auflage
302 Seiten
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978-2-322-56680-8 (ISBN)
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En 1939, le général Franco devient le maître de l'Espagne. C'est le début d'une dictature militaire qui va durer 38 ans. Dès 1940, les lois franquistes autorisent officiellement l'enlèvement des nouveau-nés de parents républicains pour les confier à des couples stériles, proches du régime, sous prétexte d'éradiquer le « virus rouge ». C'est l'affaire des enfants volés du franquisme. Plusieurs dizaines de milliers d'enfants ont été ainsi enlevés à leur mère dans les hôpitaux ou dans les couvents avec la complicité de l'Église. Dans les années 70, un groupe de quatre étudiants en médecine madrilènes découvrent l'ampleur du trafic et deux d'entre eux s'aperçoivent alors qu'ils ont été volés et revendus. C'est leur histoire que ce livre raconte.

L'auteur de La nouvelle Judith nous conduit, pour son septième roman, dans l'Espagne des années noires du franquisme parmi les victimes du système en place.

2


26 juillet 1942

Lorsque le docteur Santiago Campo y Alvarez et sa femme Carmen née Seguro furent convaincus qu'ils n'auraient jamais d'enfants sans que la médecine ne puisse leur en fournir vraiment la raison, une période d'abattement s'installa dans leur couple et finit par les culpabiliser. Qu 'avaient-ils donc fait au Seigneur pour qu'il les punisse de la sorte ? Ils n'avaient pourtant pas abusé, pour leur seul plaisir égoïste, de l'autorisation que l’Église accordait à tous les couples très croyants et raisonnables d'avoir dans leur propre lit le comportement physiologiquement nécessaire pour assurer leur descendance. Carmen avait eu chaque fois, avant que les chairs ne se mêlent, une pensée sainte, dans laquelle elle voyait défiler l'image pieuse de ces vierges martyres qu'elle implorait si souvent et qui la pardonnaient d'avance, pensaitelle, de sa soumission, voire de la bienveillante complicité qui s'en était chaque fois suivie.

Il fallait bien en effet, avait-elle appris, une bienveillante complicité de sa part compte tenu de la physiologie masculine qui n'était pas hélas continuellement opérationnelle, comme son mari le lui avait longuement expliqué à plusieurs reprises en y mettant les formes et en pesant les mots. Pour sa part, elle était certaine de n'avoir jamais eu de pensée déviante, de tentation oblique, de pulsion soudaine ou d'abandon extatique total de la raison, pour désirer que cela se prolonge ou se répète audelà du normal pour ne pas dire au-delà du génétiquement nécessaire. C'est ainsi que, son mari médecin lui ayant appris quelques rudiments de génétique, elle comptait les jours, semaine après semaine, pour éliminer ceux que la nature avait rendu inutiles et qui ne pouvaient aboutir qu'à des désillusions, voire au péché. Elle comptait dans l'attente mêlée d'espoir, de crainte et d'un soupçon de culpabilité, les véritables jours que son confesseur lui autorisait explicitement, mais à mots choisis dans des phrases prévues à l'avance et déjà entendues par d'autres dans la demi-obscurité grillagée d'un confessionnal. Le sujet n'était pas nouveau pour lui et il avait mis au point un texte qu'il récitait machinalement, produisant toujours un effet apaisant et déculpabilisant dont il était très fier. Ce texte, il se le récitait mentalement chaque fois avant d'entrer dans le confessionnal pour s'assurer de ne pas hésiter en cherchant les mots justes le moment venu. Parfois, cependant, il changeait un mot ou deux lorsqu'il sentait dans l'intonation de la voix qui traversait le grillage que la personne qui l'écoutait pouvait très bien les entendre sans rougir.

Quant à son mari, il se désolait mois après mois, mais avait toujours pris soin de ne jamais la décourager en lui laissant croire que la prochaine fois serait la bonne. Était-ce donc sa faute à lui ? En fait, elle ne savait rien de ce qu'il avait fait avant de l'épouser, il lui avait toujours affirmé qu'elle était la première, l'unique, mais disait-il la vérité ?

Les hommes, avait-elle entendu dire, ne disent jamais la vérité concernant ces choses-là, mais elle avait toujours fait une exception concernant son mari. Parfois, le doute voulait s'installer dans ses pensées. Et s'il avait offensé Dieu, autrefois ? Lui seul savait, mais il ne disait rien et aurait très mal pris, elle en était certaine, qu'elle eût le moindre doute à ce sujet. La stabilité d'un couple bienpensant suppose que tout commence le jour du mariage, que rien n'existait avant et qu'il sera trop tard pour que quelque chose puisse advenir après la cérémonie. C'était une phrase qu'il avait répétée à maintes reprises afin de couper court à toute conversation et qu'il savait par cœur.

A vrai dire, contrairement à ce qu'il disait à sa femme, il n'était pas convaincu que le Ciel avait un rapport quelconque avec la fécondité. Il considérait le corps humain formé de deux parties : le cerveau qu'il abandonnait volontiers aux psychiatres et le reste, un paquet d'organes qui fonctionnaient sans que l'on ne sache très bien pourquoi. Seul le squelette l'intéressait vraiment.

Quand il fut absolument certain que les prières, les offrandes, les cierges et toutes les retraites de sa femme n'aboutiraient pas au résultat escompté et que le problème n'était pas de nature spirituelle, que le ciel était vraiment trop haut pour intervenir dans ce genre de problèmes, il songea à l'adoption.

Il en toucha un mot à sa femme sans insister, comme une solution de repli à n'utiliser qu'en dernière extrémité, car, lui avait-il dit, le temps passe et les années perdues ne se retrouvent pas. Maxime universelle que l'on pouvait répéter à l'infini et appliquer à toutes les situations.

L'adoption était une solution d'ailleurs réversible en quelque sorte, car si un enfant venait, « Si Dieu nous l'accorde » avait-il dit, rien ne nous empêchera de les élever tous les deux comme des frères.

Elle ne répondit pas à son mari, mais ne réagit pas négativement non plus, elle s'attendait sans doute à cette proposition inévitable qui officialiserait en quelque sorte, auprès de sa famille, de ses amis de ses connaissances, sa stérilité puisqu'il était de notoriété publique dans les tous les milieux qu'ils fréquentaient que les femmes étaient seules responsables de l'absence de descendance. Tant qu'on n'optait pas pour l'adoption, personne ne savait, personne ne médisait et personne ne jugeait. Dans la famille, on s'étonnait peut-être du retard, sans doute même, sans en chercher plus loin les causes et on n'y pensait plus.

Son mari en tant que consultant avait participé indirectement à l'élaboration du décret de 1940 qui accordait aux franquistes l'autorité paternelle sur les enfants dont l'éducation morale était en danger : cela concernait tous les enfants à naître ou en bas âge des veuves dont le mari républicain avait disparu. On les enlèverait à leur mère, on changerait leur nom, leur date de naissance et ils seraient confiés à des orphelinats catholiques qui leur donneraient, sous la houlette de prêtres et de religieuses zélés, une éducation conforme aux exigences du régime franquiste. C'était un réservoir officiel dans lequel les parents bien-pensants voulant adopter un enfant pourraient puiser en toute sécurité, en toute discrétion et très facilement, il suffisait de payer, il y en avait pour tous les prix. Le docteur Campo faisait partie de plusieurs commissions chargées de visiter les principaux centres de regroupement généralement situés à l'intérieur des couvents pour s'assurer qu'aucun nouveau venu n'était atteint d'une tare physique qui en aurait rendu la future adoption problématique et en aurait diminué fortement la valeur marchande, car bien entendu tout cela avait un coût, tout cela avait un prix.

La solution lui fut suggérée au cours d'une conversation avec l'un de ses collègues dont la sœur avait épousé un haut gradé de l'armée.

– Figure-toi, lui dit-il que mon beau-frère a obligé sa femme à simuler une grossesse en attendant l'adoption, car il lui était insupportable d'admettre l'idée que son couple fut stérile. Il est vrai que nous vivons à une époque où les apparences ont autant d'importance que les diplômes. Ma sœur n'a accepté qu'avec réticence.

« Un colonel ne peut avoir aucune défaillance dans aucun domaine, il y va de l'honneur de l'Armée Nationale. Que diraient mes subalternes s'ils savaient, et ils finiraient par savoir ? » Avait-il répondu à sa femme pour la persuader.

Le docteur Campo savait que dans l'Armée comme dans tous les grands corps constitués, la jalousie entraîne presque toujours la médisance, le bruit aurait vite couru qu'il était impuissant ou qu'il n'avait pas assez de jugeote pour se choisir une femme qui en soit vraiment une au sens chrétien du terme. Son collègue avait raison, l'adoption était la bonne solution : la simulation de grossesse résolvait tous les problèmes annexes que l'adoption allait entraîner dans le voisinage immédiat du couple.

L'idée germa rapidement dans la tête de Santiago Campo et il prépara tout un processus dans les moindres détails pour pouvoir répliquer aux objections éventuelles que sa femme ne manquerait pas de lui faire lorsqu'elle commencerait à se persuader qu'il avait raison et avant de donner son accord définitif à l'adoption. Il décida d'abord d'une date approximative à laquelle...

Erscheint lt. Verlag 15.2.2024
Sprache französisch
Themenwelt Literatur
ISBN-10 2-322-56680-2 / 2322566802
ISBN-13 978-2-322-56680-8 / 9782322566808
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