Le coup de l'Oeuf (eBook)

Un an auparavant.

« Est-ce qu’une poule qui pond un œuf est plus heureuse que l’œuf pondu par la poule? » Georges.

Dans une lointaine galaxie très éloignée du Système solaire, trois personnages attendent dans la salle de réunion. Pour les représenter, il faut imaginer d’immenses limaces se mouvant sur une dizaine de tentacules, avec des yeux rétractiles, comme les escargots, sur leur partie supérieure. La respiration, ainsi que l’audition, se fait par des ouïes de chaque côté de la partie haute qualifiée de céphalique. Une large bouche hérissée de petites dents pointues leur permet de parler et de s’alimenter. Ils ont quatre membres supérieurs affublés sur leur partie distale de petits tentacules. Leur habillement est très simple avec une pièce unique, sorte de jupe en tulle sur la taille cachant le début des tentacules inférieurs. Ce sont les habitants de la planète Gluante. Pour simplifier, nous les appellerons Popaul, Jujube et Morvéus1.

"Pop pop pop pop", le bruit des tentacules sur le sol signale l’approche d’un nouveau personnage. Il s’agit de Vieuxsage, un ancien, sérieux, rigide, maître des décisions ultimes. Il s’approche et pose un dossier sur la table. Son âge et sa sagesse se discernent dans les multiples plis cachant presque en totalité ses yeux rétractiles. La couleur de sa peau, vert fluo dans sa jeunesse, s’est ternie avec les années en brun foncé. Il est vieux, très vieux. Les trois jeunes sortent les yeux de leur tête, signant leur attention à l’écoute de Vieuxsage.

Ce dernier soulève quelques plis de son front, laissant apercevoir son regard perçant. Il s’exprime :

— Hum hum, bien le bonjour, jeunes gluants.2

— Bonjour Vieuxsage, répondent en chœur les trois jeunes.

— Hum hum, poursuit l’ancien. Nous sommes réunis aujourd’hui pour statuer de l’avenir de la planète Terre du Système solaire dans la voie lactée. Les comptes rendus que vous m’avez fait parvenir, jeune Jujube, sont alarmants. Faites-nous un résumé je vous prie.

Leur nature est vraiment bien faite. Lorsqu’il s’exprime, le gluant émet de larges flots de bave dégoulinant vers son "cou" et récupéré dans une fente de sa peau, un bel exemple de cercle vertueux. Jujube prend la parole :

— Vénérable Vieuxsage, je ne suis pas optimiste sur l’avenir de la planète Terre. Ces derniers siècles, une population qualifiée d’intelligente a pris en tentacule la destinée de la Terre. Cette population ne s’est pas autorégulée ce qui pose un réel problème de surpopulation. Ils prolifèrent et sont en train de détruire leur planète de manière irréversible.

— Hum hum. Rappelez-moi la nature de cette espèce proliférante.

— On les appelle les humains, des animaux ridicules avec seulement deux membres inférieurs et deux membres supérieurs agrémentés de petits boudins au bout, même pas un tentacule. Et dans leur malheur, ils bavent vraiment très peu.

— Effectivement, hum hum, vu votre description dégoûtante, ils ne sont pas intéressants. C’est étonnant comme des espèces ridicules et insignifiantes peuvent bousiller une planète entière. Vraiment déconcertant. Donc, vous dites que c’est irréversible?

— Totalement, renchérit Morvéus.

— Comment avons-nous pu laisser faire cela? Pourquoi ne les avez-vous pas surveillés?

— Manque de personnel, explique Jujube, nous les avons quittés dans une phase primitive et dès que nous avons eu le dos tourné, ils se sont développés, très vite, trop vite.

— Hum hum. Dans ce cas, supprimons-les et laissons leur planète se régénérer tranquillement. Si tout le monde est d’accord, je clôture la réunion.

Popaul est très timide. Quand il est ému, ses yeux se croisent, il rougit et bégaye, crachant de larges flaques de bave :

— Vé vé véné vénérable Vieuxsage!

— Plaît-il jeune Popaul?

— Nous nous nous avons un problème.

— Hum, je vous écoute. Nous sommes là pour nous écouter n’est-ce pas?

— Nous ne pouvons pas supprimer les humains.

— Hum hum. Vous me contrariez. Et pourquoi donc?

Popaul prenant un peu d’assurance, redevient vert et rétracte ses yeux :

— Ils utilisent l’énergie atomique.

Vieuxsage, à l’écoute de cette nouvelle, devient cramoisi, exorbite ses yeux et rote une large flaque de bave sur la table. Reprenant son calme et sa dignité, il demande :

— Hum hum, donnez-moi des détails.

— Ils ont découvert l’énergie nucléaire et l’utilisent, explique Popaul. Si nous les supprimons brutalement, cela peut entraîner des explosions atomiques en chaîne et détruire la Terre en totalité. J’ai fait des simulations et c’est plus que probable.

— Hum hum, cela est bien fâcheux. Ils utilisent le nucléaire de quelle façon?

— En majorité pour fabriquer de l’énergie, une autre partie en bombes pour se faire la guerre.

— Et ont-ils déjà fait exploser des bombes?

— À plusieurs reprises, oui, pour détruire d’autres humains ou juste pour voir si elles marchent bien.

— Donnez-moi plus d’informations sur ces humains je vous prie.

Morvéus projette sur un écran l’image d’un homme et d’une femme :

— Les humains sont sexués, pas comme nous, fort heureusement. Il faut un homme et une femme pour avoir un enfant. Un à deux enfants par portée, parfois trois. C’est la femme qui mature son bébé dans son ventre.

— Ils ne pondent pas d’œufs? Demande Vieuxsage.

— Non, ils expulsent un bébé au bout de neuf mois de gestation. Il va grandir et sera capable de se reproduire environ quinze ans après. Une femme peut avoir dix à douze portées dans sa vie. Cela explique la rapidité de croissance de leur population. Un humain peut vivre jusqu’à cent ans. Comme ils sont trop nombreux, ils se bagarrent et se font la guerre pour tout et rien.

— Des primitifs intelligents et bagarreurs, soupire Vieuxsage. Après le nucléaire, ils vont découvrir l’antigravité et rapidement se propager dans l’espace. Deviendront-ils un danger pour nous?

— Peut-être, peut-être pas, répond Jujube. Il faudrait les étudier de plus près, les stabiliser dans leur développement, les unifier et supprimer toutes leurs activités nucléaires.

— Hum hum, vaste programme. Vous avez une idée pour cela?

Morvéus explique :

— La religion. Les humains sont très influençables et extrêmement malléables. Ils sont huit milliards sur la Terre et croient en un Dieu à travers de nombreuses religions.

— Ce n’est pas possible, éructe Vieuxsage en expulsant une coulée de bave, ils sont encore au stade de la croyance en un Dieu? Quels primitifs!

— Donc, reprend Morvéus, il suffit d’unifier tous les humains en leur faisant croire à Dieu d’une façon nouvelle, une religion supérieure à toutes les autres et ils arrêteront d’euxmêmes la destruction de la Terre.

Vieuxsage a un petit hoquet répété, postillonnant de la bave un peu partout, sa façon de rire. Il se calme et dit :

— Je résume votre pensée. Vous allez tous les trois sur Terre, vous leur dites, croyez en moi, je suis votre Dieu et ils vont vous obéir.

Il se remet à hoqueter en bavant dans tous les sens.

— En gros, oui, reprend Popaul sans se démonter. Mais pas de cette façon. Nous n’allons pas nous montrer. Il leur faut un déclencheur, un leader, un nouveau prophète qu’ils écouteront et suivront. J’ai étudié toutes leurs religions, je sais ce qu’ils aiment, ce qu’ils veulent. Ils veulent du rêve, de l’exceptionnel qui les fasse sortir de leur ordinaire et croire à un avenir meilleur.

— Hum, hum, je vois que vous avez bien étudié la question, mes félicitations, jeune Popaul. Comment comptez-vous vous y prendre?

— On va leur faire le coup de l’œuf.

Vieuxsage devient cramoisi, il...