La langue à l'épreuve -

La langue à l'épreuve (eBook)

La poésie française entre Malherbe et Boileau. Études réunies et éditées par Guillaume Peureux et Delphine Reguig
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2024 | 1. Auflage
324 Seiten
Narr Francke Attempto (Verlag)
978-3-381-11713-0 (ISBN)
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Ce livre est une histoire de la poésie en France au XVIIe siècle vue à travers la question des rapports entretenus par les poètes avec la réforme malherbienne, généralement présentée comme uniformément répandue dans les pratiques d'écriture. Les contributions réunies montrent la complexité et la richesse de ces rapports, des divergences et des rapprochements inattendus entre poètes, la profondeur des réflexions menées par les auteurs et autrices, en fonction de leurs convictions philosophiques ou linguistiques, des influences qu'ils subissaient, des contextes politiques et idéologiques qui étaient les leurs. Trois grandes lignes se dégagent de l'ensemble des contributions : la prise en compte des écarts entre le purisme malherbien et la nécessité d'adapter son écriture aux codes d'une forme ou d'un genre ; le déploiement de discours sur l'autonomisation de la langue poétique ; des expérimentations linguistiques qui traduisent une résistance frontale à toute forme d'uniformisation poétique.

Le grand laboratoire


Guillaume PEUREUX et Delphine REGUIG
Université Paris-Nanterre, CSLFUniversité Jean Monnet Saint-Étienne, IHRIM

Au tournant des XVIe et XVIIe siècles s’observe une rupture dans le rapport des poètes à la langue : alors que des poètes et des théoriciens de la poésie, comme Du Bellay ou Ronsard, revendiquaient au XVIe siècle l’enrichissement de la langue par la poésie, des auteurs commencent à inverser les positions à l’orée du XVIIe siècle ; avec Malherbe ou Deimier, il est désormais question de régler la poésie en fonction de l’usage compris comme le bon usage conversationnel, selon un principe qui semble s’être largement imposé et avoir été peu discuté au cours des décennies suivantes. Un autre mode d’illustration de la langue en poésie, en tant qu’elle suit l’usage, se trouve ainsi promu.

Ce qui pourrait passer pour une facilité – écrire comme on parle – relève pourtant du défi. Le colloque qui s’est tenu les 9 et 10 juin 2022 à la Chaise-Dieu, dans un lieu emblématique, riche de résonances esthétiques plurielles, a permis d’éclairer les explorations poétiques cherchant à relever ce défi, depuis Malherbe – qui, affichant son mépris pour l’activité des poètes et pour les poètes eux-mêmes, aurait prétendu vouloir être compris des « crocheteurs du port au foin » –, jusqu’à Boileau – qui fait quant à lui de la clarté malherbienne la condition de la noblesse de la poésie. Pour Boileau comme pour Vaugelas, lequel, comme le souligne Gilles Siouffi, « se réfère directement à Malherbe », « la question de la langue est une question poétique, et la question poétique une question de langue » et « l’écriture entière de la langue devient poésie ». Dans l’ouvrage fondamental de G. Siouffi, Le Génie de la langue française, l’Art poétique de Boileau vient illustrer la substitution de « la voix de la langue » à l’ancienne sacralité du poète :

Sur tout, qu’en vos écrits la Langue révérée

Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.

En vain vous me frappez d’un son mélodieux,

Si le terme est impropre, ou le tour vicieux,

Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme,

Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme.

Sans la langue en un mot, l’Auteur le plus divin

Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.

Ronsard rêvait d’une langue à part (« stile apart, sens apart, euvre apart »), évoquait « le Poëte s’acheminant vers la fin, porté de fureur et d’art (sans toutesfois se soucier beaucoup des reigles de Grammaire) », et louait même ces « belles figures que les Poetes en leur fureur ont trouvees, franchissant la Loy de Grammaire ». Boileau, après Malherbe, fait « descendre cette transcendance dans l’immanence de la langue », pour reprendre une nouvelle expression de G. Siouffi qui souligne encore :

On découvrira que ce qu’il y a de commun, entre plusieurs beaux poèmes, c’est la beauté de la langue. Un caractère poétique spécifique sera donc associé à la parfaite réalisation de l’énoncé. L’idéal n’est plus la vérité qu’atteint le poète inspiré, il est celle que force quasiment à dire la langue, si elle est parfaitement maîtrisée. Aussi la soumission de la poésie aux scrupules de grammaire est-elle significative de ce transfert d’énergie et participe-t-elle de la mise en place d’un imaginaire linguistique.

On trouve dans le second entretien d’Ariste et d’Eugène « De la langue française » de Bouhours, la traduction directe de cette évolution dans l’assimilation de la poésie à la prose :

Ce qu’il y a de remarquable en ceci, et ce qui fait voir plus que tout le reste la simplicité de la langue Française : c’est que sa poésie n’est guère moins éloignée que sa prose, de ces façons de parler figurées et métaphoriques. Les vers ne nous plaisent point s’ils ne sont naturels. Nous avons fort peu de mots poétiques ; et le langage des poètes Français n’est pas comme celui des autres poètes fort différent du commun langage.

Ces deux figures emblématiques, Malherbe et Boileau, qui semblent enserrer un siècle de production poétique dans une parfaite cohérence, témoignent pourtant à eux seuls d’une variété d’interprétations de la soumission de la poésie à la parole d’usage. L’uniformisation de cette variété par la tradition a certes permis de privilégier un récit continuiste du siècle depuis la réforme malherbienne, poète « grammairien », jusqu’à la « venue » de Boileau, révérant la langue dans l’Art poétique. L’éloge de Malherbe que Charles Perrault développe au premier tome du recueil des Hommes illustres représente l’une des formulations les plus frappantes de ce récit constitué très tôt en doxa :

Son talent principal dans la Poésie Française, consistait dans le tour qu’il donnait aux Vers, que personne n’avait connu avant lui, que tous les Poètes qui sont venus ensuite, ont tâché d’imiter ; mais où très peu sont parvenus. Il réforma en quelque façon toute la Langue, en n’admettant plus les mots écorchés du Latin, ni les phrases tournées à la manière des Latins ou des Grecs, ce qui a défiguré la plupart des Ouvrages de ceux qui l’ont précédé, et particulièrement de ceux de Ronsard, quoique ce Poète crût leur donner par là une grande beauté et une majesté admirable.

Même s’il concède quelques faiblesses aux détracteurs du poète, Perrault conclut ardemment sur la force de rupture de l’auteur : « Quoi qu’il en soit, la face de la Poésie changea entièrement quand il vint au monde. » Dans l’histoire, le dessin de ce tournant et l’argument de la soumission poétique à l’usage ont encouragé la description d’une crise de la poésie une fois détournée de son illustration traditionnelle d’une mythique « langue des dieux ». Une telle description s’est durablement appuyée sur la représentation figée d’un « cartésianisme » linguistique qui aurait « coupé la gorge à la poésie ». G. Siouffi souligne que Malherbe, du fait même de cette évolution de la représentation de la langue en poésie, « n’a pas toujours été reconnu de son temps comme un véritable poète ». Dans l’histoire, l’enjeu de ce récit, qui définit un cadre rigide pour la définition de la nature et des fonctions de la poésie, est d’engager la survie même de la poésie.

Une telle représentation est également indissociable d’un sentiment factice d’unité des théories et des pratiques, et que la tradition désigne sous la catégorie de « classicisme », assimilé dans son fonctionnement à un antagonisme pour ou contre Malherbe. À ce titre, l’observation de la diversité des écritures poétiques et des réflexions sur les liens entre langue et poésie au cours du XVIIe siècle, paradoxalement libérées par la « réforme » malherbienne, permet d’interroger les catégories de clarté, de netteté, de transparence dont la teneur spécifiquement poétique mérite d’être examinée. Car, au sein de ce cadre imaginaire, les poètes se sont mus de façon dynamique : ils ont dû évoluer, négocier leurs choix, accepter que leur pratique comporte naturellement une dimension à la fois réflexive et expérimentale. À maints égards, les contributions rassemblées dans ce volume invitent donc à nuancer la thèse de l’adhésion massive aux principes malherbiens, à affiner l’axiologie qui relie finalement évaluation de la langue et valeur du travail poétique ainsi qu’à revoir sa réelle productivité normative. Dans les pratiques, les fausses évidences se défont et laissent place à des surprises que l’absence d’une exploration d’ampleur sur ces questions rendent invisibles : l’intelligibilité immédiate du poème n’est pas nécessairement le critère premier de la réussite poétique, le discours des poètes propose des rapports à la langue qui intègrent la question du rapport au monde, la langue d’usage fait l’objet d’écarts assumés tandis que le texte versifié devient un lieu d’invention linguistique. Entre Malherbe et Boileau, bornes à la fois chronologiques et idéologiques, la période a donc favorisé les libertés et certaines expérimentations poétiques : l’omniprésence de Malherbe et son hégémonie supposée, manifestement édifiée par le caractère offensif des commentaires de ses épigones, est peut-être avant tout un malherbianisme de construction.

 

Parmi les trois grands massifs choisis pour organiser le présent volume, le premier montre tout d’abord comment les genres poétiques et les classements des discours mettent à mal la doxa malherbienne. Si les genres poétiques agissent bien comme des contraintes, ils obligent cependant à élargir le rapport à la...

Erscheint lt. Verlag 29.4.2024
Sprache französisch
Themenwelt Geisteswissenschaften Sprach- / Literaturwissenschaft
ISBN-10 3-381-11713-0 / 3381117130
ISBN-13 978-3-381-11713-0 / 9783381117130
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