Après le suicide (eBook)

Chapitre 2
Cette mort qui marque la vie

J’entreprends aujourd’hui un voyage bien spécial. Celui-ci est loin d’être des plus agréables, mais il est nécessaire à l’acceptation de cette perte, à mon cheminement personnel. Il est essentiel pour franchir la traversée de ce long processus qui me permettra, je l’espère, de poursuivre avec sérénité ce chemin que la vie m’a tracé. La route sera sans aucun doute longue et parsemée de peine et de pleurs. Le trajet n’est pas encore défini…

Je sais que la voie sera parfois cahoteuse, remplie de courbes inattendues. Difficile à contrôler, elle me forcera à ralentir et parfois même à arrêter. Il y aura aussi tous ces détours placés ici et là. Ils m’obligeront à contourner cette voie que je me suis tracée et retarderont l’approche de la destination. L’arrivée au bout de ce grand tunnel, qui m’apportera à nouveau la lumière, tout comme l’aube d’un nouveau matin. Une petite lueur qui donne confiance et assurance. Celle qui me guidera vers ce soleil rayonnant de tout son éclat, de toute sa splendeur.

Je suis consciente que je devrai repasser à nouveau à travers mes pensées, par la dure épreuve du suicide, de sa réalité, de sa souffrance, de son incompréhension, de ce grand désespoir et du questionnement qu’il apporte et qui demeurera malgré tout, en partie, sans réponse.

Que de fois, me suis-je interrogée sur la pertinence d’écrire ce témoignage. À l’utilité et à l’apport que je peux apporter à notre société. J’ai parfois eu envie de simplement tout laisser tomber et de garder tout cela pour moi. Mais je dois alors me souvenir d’un objectif que je me suis donné suite à ton décès, afin de donner un sens à ta mort. J’ai décidé de trouver une façon de m’impliquer, afin de pouvoir sauver une personne, au moins une seule personne, de ce mal du siècle qu’est le suicide. Est-ce que, suite à la lecture de ces écrits, quelqu’un, quelque part, aura décidé de remédier à l’irréparable ? Si oui, je pourrai alors dire que j’ai atteint cet objectif et c’est ce que je souhaite ardemment.

J’ai auparavant essayé de m’impliquer différemment et bénévolement. Mais la vie m’a démontré que je n’étais pas à la bonne place, ou du moins pas à ce moment-là. Le cœur et l’ambition n’y étaient pas. La raison en est fort simple : je n’ai pu accomplir le travail dans lequel j’avais choisi de m’impliquer. J’ai alors pris une autre direction qui n’était pas celle visée. J’ai voulu forcer les choses et j’ai vite constaté que je n’étais pas à ma place, ne pouvant atteindre l’objectif fixé. L’expérience s’est avérée négative. J’ai dû choisir de me retirer avec une grande déception, car je n’ai pu accéder à la réalisation de mon plan d’aide à la société. Cette situation m’a laissée très amère, fortement déçue du résultat obtenu. Elle ne correspondait absolument en rien à ma capacité habituelle de bien rendre à terme l’exécution de tous mes projets.

Je sais maintenant que la vie me réservait une surprise. Elle visait autre chose. Elle prévoyait la publication de ce livre. Jamais auparavant, je n’aurais pu imaginer devenir un jour l’auteure de cette réalisation. Je crois maintenant qu’il est important de foncer avec ses convictions et de ne pas déroger, même dans l’adversité. Il faut faire confiance à la vie et tout se produit en temps et lieu.

À plusieurs reprises pendant mon travail de rédaction, sans le vouloir, j’ai dû cesser l’écriture. L’émotion étant trop forte, la douleur trop intense, car ils me ramènent à la réalité ou plutôt à l’énormité des conséquences provoquées par ton suicide. De grandes émotions refont surface. Le mal, que je croyais disparu, réapparaît. La sérénité, que j’estimais avoir acquise avec les années, ne m’a pas encore permis d’atteindre le résultat souhaité, l’acceptation totale.

Vais-je un jour y arriver ? Je suis parfois convaincue que ça y est, que j’ai franchi cette grande et ultime étape. Mais selon la continuité de ma vie, de tout ce qui se passera aux alentours, certaines situations me feront replonger dans mon mal, dans mon questionnement et parfois même dans la peur. Une grande peur que je ne peux justifier ni contrôler. J’ai constaté que j’ai beaucoup de difficulté à accepter cette détresse et cette perte totale de contrôle. Pourquoi la vie provoque-t-elle une pareille vulnérabilité et une pareille défaite ?

Lorsqu’un suicide se produit dans l’entourage immédiat, nous sommes alors tous amenés à la confrontation et à la confirmation que cette situation est bien réelle et qu’aucun individu n’est à l’abri de telles circonstances. On ne peut plus nier et penser que cela n’arrive qu’aux autres. Cette nouvelle réalité amène à nous remettre en cause et à nous demander : pourquoi cette situation s’est-elle produite ? Vais-je un jour avoir aussi mal ? Si oui, comment vais-je réagir ? Est-ce que je serai alors capable de m’en sortir ? Saurais-je trouver les moyens pour me guérir ? De quelle manière dois-je m’y prendre, pour éviter une telle catastrophe ? Celle que tu n’as pu éviter et qui a produit ton départ précipité ? Toutes ces questions sèment une grande peur.

Quand le suicide arrive, il attaque de toutes parts et de tous côtés. Il vient chambarder nos pensées, nos sentiments, notre état d’âme. Surgissent alors toutes ces interrogations qui nous martèlent sans répit, face à la possibilité que ça puisse en tout temps, se présenter à nouveau parmi les nôtres, notre entourage, nos connaissances. La peur se manifeste alors de façon sauvage et agressante. Comment nier cette possibilité ? Comment me convaincre que ton cas fut un cas isolé ? Comment mettre de côté cette mort détraquée qui ne cesse de harceler ? Celle dont on entend trop souvent parler ?

On a beau vouloir adresser la parole à qui veut écouter, mais comment trouver cette oreille attentive ? Celle qui saura entendre et comprendre sans juger ? Oui, il y a des portes qui s’ouvrent et des organismes qui offrent leur disponibilité, mais est-ce qu’on a toujours envie de se diriger vers eux et de se confier à eux ? Je dois être réaliste et répondre : « non ».

Un « non » qui surprend et qui nécessite une certaine explication. À certains moments, nous n’avons pas forcément le goût de livrer nos états d’âme et notre détresse à des inconnus ni même à nos proches. Se pose alors un grand dilemme. On laisse ces organismes de côté et on évite d’en parler aux gens de notre entourage, pour ne pas les effrayer. Pour ne pas divulguer toute cette intense douleur. Celle que l’on essaie d’oublier et parfois même de nier. Mais ce retrait envers tous n’est-il pas une bombe à retardement qui risque de sauter à tout moment ? Plongerons-nous alors dans cette perte de contrôle face à ce désarroi ? Celui que l'on veut cacher ? Celui qui ne peut être dévoilé ? Celui qui peut amener, un jour, à l’abandon ?

Lorsque nous avons vécu la réalité du suicide, par la suite, à chaque fois qu’il y a nouvelle d’un suicide, (la situation se produit malheureusement trop souvent), nous sommes replongés dans notre propre expérience et c’est comme un couteau qu'on tourne dans la plaie. Ce couteau qui nous va droit au cœur. Il nous est impossible d’accepter une telle situation. Il faut donc apprendre, avec le temps et la patience, à vivre avec cette triste réalité et essayer de retrouver une certaine paix intérieure.

Je réalise que malgré ce temps qui passe, j’ai encore un long chemin à parcourir pour trouver réponses à toutes mes questions. Le suicide laisse toujours place à l’interrogation qui se résume à l’ultime : « Pourquoi ? ». Ce pourquoi qui demeurera à tout jamais… sans réponse.

Par la rédaction de ce livre, j’ai la grande ambition de me permettre d’avancer un pas de plus dans cette démarche qui, je l’espère, un jour me libérera complètement de ta détresse… celle qui engendra la mienne. J’ai eu à réfléchir sur ce qu’il peut m’apporter à moi et à tous ceux qui vivent une situation semblable. Je me suis donc fixée trois objectifs bien précis, pour la réalisation de ce grand projet :

• M’adresser à tous ceux qui veulent comprendre ce qu’est la réalité du suicide. Ce geste ne provient pas toujours d’un coup de tête, mais bien à cause d’une souffrance et d’une détresse insupportables, celle qui dure depuis un certain temps et parfois même depuis très longtemps.

• Conscientiser tous ceux qui ont...